Exclusif : l’interview des auteurs de Samourawaii

Par le 16 septembre 2020

Samourawaii, c’est ce webtoon français de Josselin Azorin-Lara et Boky B. qu’on vous explique ici, dont les débuts cartonnent sur Naver. On comprend vite pourquoi : tout fonctionne, du style graphique au scénario, en passant par les personnages et la bande-son. On a qu’une hâte, c’est de lire la suite ! Pour l’instant, Samourawaii est en pause jusqu’au 15 septembre : ses deux auteurs profitent de vacances bien méritées. Enfin, des vacances… pas tout à fait, puisqu’ils ont très gentiment accepté de nous accorder une interview !

Josselin, peux-tu nous parler un peu de ton parcours en tant que scénariste BD ?

Josselin : J’ai commencé en amateur en 1995, j’avais 19 ans. Nous avons créé l’association NEKOMIX avec des amis, et nous avons publié nos histoires dans un fanzine du même nom. J’écrivais et je dessinais également. J’ai aussi collaboré avec quelques autres fanzines, dont POROPHORE (fanzine co-créé par Vanyda & quelques autres amis de la BD). Début des années 2000, j’ai essayé de proposer pas mal de projets à des éditeurs, sans succès. En 2009, j’ai signé ma première série Break !. Ensuite j’ai fait quelques travaux de commande, dont des adaptations de projets de séries animées (Baskup, Turboten, Golam et plus récemment Le Monde selon Kev). Enfin j’ai signé en 2012 ma première version de Samourawaii et sa préquelle, Néron.

Qu’est-ce qui t’a décidé à te lancer dans la création d’un webtoon ? Comment as-tu découvert ce milieu ?

J. : Avec Boky nous avions envie de raconter cette histoire, que nous n’avions pas pu vraiment explorer il y a 10 ans (la première version en BD n’avait pas trouvé son public). Il y avait cette frustration, ce sentiment d’inachevé ! L’opportunité de pitcher à l’équipe Webtoon s’est présentée, à la suite de ma rencontre avec Emilie Coudrat (elle fait partie de l’équipe de Naver France). Notre projet a été retenu, nous avons donc foncé !

J’avais entendu parler du format webtoon depuis des années, mais sans trop comprendre de quoi il s’agissait. J’ai vraiment découvert ce que c’était via Boky, quand il m’a montré son projet personnel Queen Pegasus (sur Canvas US, uniquement en anglais). Ensuite certains de mes collègues en Inde en lisaient beaucoup, et nous avons même fait quelques tests sur des projets pour Didier Borg (fondateur de Delitoon). Fin 2019, j’étais impliqué dans la création potentielle d’un studio de production webtoon en France, ce qui m’a permis d’approfondir ma compréhension de ces méthodes de travail. Mais c’était très théorique… la vraie découverte s’est faite en février/mars dernier, quand nous avons rendu nos premiers épisodes en test !

Tu es à la fois auteur de BD et de webtoons. Quels sont les avantages et inconvénients de chaque système de publication ? Dans le cas des webtoons, comment ressens-tu le fait de pouvoir directement lire les réactions de ton public via les commentaires ?

J. : Les cycles et différentes étapes dans la BD sont extrêmement longs. Lorsque tu as l’idée d’un projet, cela peut prendre des années avant de pouvoir présenter cela aux éditeurs. Cela prendra encore du temps pour les convaincre. Puis une fois que tu signes, tu peux facilement voir un à deux ans s’écouler avant de tenir l’album dans tes mains. Un temps raisonnable pour produire un album BD de 48 planches, pour un auteur, c’est 8 à 10 mois. À cela tu rajoutes 4 à 6 mois pour les corrections, la maquette, les calibrages d’impression, la communication (si l’éditeur fait l’effort requis à ce sujet, ce qui n’est pas du tout garanti), et bien sûr la mise en place dans les réseaux de distribution, ce qui conditionnera le premier tirage… Puis ton album sort et a de grandes chances d’être invisible, les rayons des librairies étant déjà saturés ! Avec le Covid, je ne sais pas qu’elle est la situation mais avant cela, il y avait 5 à 6000 nouveautés par an minimum… tu fais le calcul sur 52 semaines, c’est juste l’enfer pour les libraires. Tu as de grandes chances pour que ton bouquin passe inaperçu. Chaque semaine, des cartons de nouveautés vont au placard pour laisser leur place aux autres… c’est la réalité de la BD en France, aujourd’hui. Donc beaucoup d’attente et beaucoup d’investissement de notre part, avec peu de chance d’avoir des résultats à la hauteur… Que tu sois un auteur installé ou non.

Break ! de Josselin Azorin-Lara

Le webtoon nécessite une rigueur de travail qui me plait beaucoup, car tu as l’obligation de livrer chaque semaine un bout d’histoire, tout en ayant une vision globale sur un an (50 à 54 épisodes pour une saison complète). On renoue un peu avec les façons de faire de la presse des années 60-70, et l’air de rien cela stimule énormément tes capacités créatives & narratives ! Les réactions immédiates et l’interaction avec les lecteurs sont une grande source de motivation, également, chose que l’on ne connait que rarement dans la BD… La pression est grande, quand tu fais du webtoon, mais le retour est tangible et quasi immédiat. À aucun moment nous n’avons l’impression de faire tout ce travail pour rien, tu vois ce que je veux dire ? Alors que le sentiment de bosser pour rien, c’est une frustration très courante dans le monde de la BD. Par contre, dans les deux cas, BD & webtoon, les conditions financières sont extrêmement précaires. Si tu cherches le confort financier, il ne faut pas bosser dans ce milieu ! Cependant le fait d’avoir Samourawaii facilement accessible en ligne, cela nous permet de faire nos preuves. Notre travail d’auteur est accessible en trois clics, donc facile pour d’autres professionnels de se faire une idée de nos capacités. Je n’avais jamais vécu ça en BD… Pour toutes ces raisons, j’ai une préférence pour le webtoon. Bien sûr, la seule chose qui manque est d’avoir la version imprimée de notre histoire, qu’on puisse la dédicacer par exemple. On croise les doigts pour qu’un éditeur souhaite se lancer dans l’adaptation BD de webtoons !

Samourawaii

Parles-nous de Samourawaii. Où as-tu trouvé ton inspiration ?

J. : Mon inspiration pour la construction de mon récit, c’est le shōnen. J’aime les récits à la narration complexe, avec une plaidoirie de personnages. Naoki Urasawa et Chris Claremont sont deux auteurs qui m’inspirent énormément. J’aime leur approche narrative, leur manière d’explorer la complexité des individus confrontés à la complexité de leur contexte, ainsi que leur relation au collectif. Le format webtoon me permet également d’explorer une narration non-linéaire, propre aux séries audiovisuelles. Cela permet d’explorer le point de vue de différents personnages, d’un épisode à l’autre, ce qui est vraiment chouette pour bien développer ton histoire. J’admire le travail de Michael Di Martino et Bryan Konietzko, les créateurs des sagas Avatar (Le Dernier Maitre de l’air & La Légende de Korra). En France, je suis inspiré par des auteurs comme Denis Bajram, qui arrive à te parler de thèmes supers profonds tout en gardant une approche hyper divertissante. Je suis également admiratif du génie créatif et de la détermination de légendes comme Uderzo ou Moebius. Ça t’impose le respect, quand tu commences à comprendre le parcours de ces auteurs. Malgré les incroyables difficultés qu’ils ont pu rencontrer, tout au long de leur carrière, ils ont su marquer des générations, que ce soit visuellement ou via leurs récits.

Est-ce que tu as un personnage préféré ?

J. : Non, je les aime tous haha ! Ce sont tous mes enfants, avec leurs défauts et leurs qualités… pas de préférence !

Samourawaii, c’est aussi le titre de l’une de tes BD… Y aurait-il un lien entre les deux ?

J. : Le webtoon est le reboot de ce que nous avions essayé de faire il y a 10 ans. Donc le lien c’est une base commune, et les mêmes auteurs… mais l’histoire n’a plus rien à voir !

Tu travailles sur ce projet avec l’illustrateur Boky Bossale. Il ne s’agit pas de votre première collaboration. Pourquoi l’avoir sollicité sur ce projet en particulier ?

J. : C’est une envie commune. On avait le désir d’aller jusqu’au bout de cette histoire. On se connait très bien avec Boky, du coup la collaboration est très efficace. On se fait confiance, chacun sur son domaine.

C’est toi qui écris l’histoire et c’est Boky qui s’occupe des illustrations. Comment vous organisez-vous pour chaque chapitre ? Est-ce que Boky participe aussi au scénario, et inversement ?

J. : Je commence par définir l’arc narratif de la saison sur 54 épisodes, que je lui présente. On discute si besoin – cet arc est susceptible d’évoluer au fur et à mesure. Puis je développe des ensembles d’épisode en synopsis, en incluant des intentions de dialogue. Boky va faire un premier story-board, sur cette base. Ensuite je retravaille le board si besoin (ça m’arrive de réajuster un peu le découpage), et surtout j’intègre les dialogues (je m’occupe du lettrage). Après ça, on soumet notre travail à notre correctrice, et on l’envoie à l’éditeur, Don Lee. Il nous fait ses commentaires & validations, et ensuite Boky attaque le dessin et les couleurs, parfois avec un assistant. Je fais une relecture finale, m’occupe des exports pour la plateforme Webtoon et on est prêt. Ça demande beaucoup de travail, comme tu peux imaginer ! Boky et moi avons chacun notre autorité sur notre partie, mais on est à l’écoute de nos commentaires réciproques. Et ça fonctionne bien, jusqu’à présent !

Puisqu’on parle de scénario, as-tu déjà prévu toute l’histoire ou au contraire, prévois-tu d’improviser en cours de route ? As-tu une idée du nombre de chapitres qu’il va y avoir ?

J. : Nous avons signé un contrat pour une saison de 54 épisodes. Donc oui, un arc narratif a déjà été défini. On sait à peu près où on va avec la saison 1, mais on ne s’interdit pas de rester à l’écoute de nos personnages, ainsi que de ce qu’il se passe au fur et à mesure des épisodes. On arrive à se surprendre d’ailleurs, dans cette production que je qualifierai d’organique. C’est très excitant, car cela donne une spontanéité dans l’écriture et la manière d’introduire l’intrigue, que je n’ai jamais connue dans d’autres médias. Et c’est très excitant aussi de voir les réactions de notre audience à ce sujet ! Aussi le format a ses limitations (on ne peut pas produire plus de 50-60 cases par semaine, avec le budget dont on dispose), du coup cela nous oblige à l’efficacité dans le récit, pour arriver à raconter suffisamment tout en évitant les pavés de texte, ou bien les narrations trop rapide… Un jeu d’équilibriste !

Sur les chapitres qui sont déjà parus, un des plus marquants est sans doute celui du fameux battle rap. D’où t’es venue cette idée géniale ? Est-ce qu’il va y avoir d’autres surprises de ce genre pour la suite ?

J. : L’accueil de cet épisode a été génial, oui, ça nous a fait super plaisir ! Merci pour ton enthousiasme 😊 L’envie de faire cet épisode est d’abord lié à ma passion pour la culture hip-hop. J’avais envie de mettre en scène le décalage entre la vision de Mamala, jeune fille de la campagne qui ne connait rien au multiculturalisme, et cette ambiance urbaine où toutes les communautés se rencontrent. Ensuite, ça permettait de donner une facette différente de Saburo, qui est un personnage au départ très antipathique… On avait envie de le montrer dans un contexte différent, qui permette à Mamala de se rendre compte qu’au-delà des apparences, les gens qu’elle rencontre sont toujours plus complexes qu’il n’y parait. Ça m’a permis de poser Saburo comme celui qui, sans s’en rendre compte, redonne confiance à Mamala (alors qu’elle traversait des doutes très profonds quant à sa présence à Archéon !). Cet épisode m’a également permis d’assouvir un vieux fantasme… écrire des paroles d’un battle rap ! J’y ai glissé beaucoup de références à l’univers de Samourawaii, l’Akogée, qui ne font peut-être pas sens en première lecture… mais que les gens comprendront au fur et à mesure qu’ils apprendront à connaitre mon univers et ses codes. Petit plaisir de scénariste ! Aussi lorsque nous avons présenté le story-board à Don Lee, notre éditeur chez Webtoon, il nous a suggéré d’intégrer une bande-son (la plateforme le permet). En plein confinement, j’ai eu la chance de pouvoir rassembler mes talentueux amis Jordy Hermès (@jordy_hermes) et le duo de DJ Farmworker (@farmworkermusic) autour de ce projet. Jordy a interprété les deux personnages, c’était fou ! Pour la musique, en 24 heures on avait reçu 10 pistes différentes… complètement incroyable de vivre ça, je te promets ! Don était également super fan, bref, on a croisé les doigts… Et les gens ont adoré !!! (même ceux qui n’aiment pas le rap hahaha). Je pense qu’on a réussi à mettre en scène, avec Boky, ce que tu ressens en assistant à un authentique battle de rap. Cette tension incroyable entre deux individus, ce partage de sens et de vécu, l’émotion dans le public. C’est une grande fierté pour tous les gens qui se sont impliqués dans ce projet.

Pour le futur, j’aimerai vraiment développer un projet de webtoon musical. Une saison en 54 épisodes avec 10 morceaux originaux que l’on mettrait en scène tous les 4/5 épisodes, tu vois l’idée ? Dans l’univers de Samourawaii, j’ai un concept autour du groupe fictif « Black Oiled Poulp », qui se prêterait super bien à ce projet. Le problème principal pour le moment est le financement, car il faudra payer les musiciens pour ce travail, et Webtoon n’a pas vocation à produire de la musique… Donc il faudrait trouver l’argent ailleurs ! Peut-être que je ferai un crowdfunding avec la communauté, on verra… Le projet sera super, j’en suis sûr 😊 Je vous laisse un aperçu ci-dessous ! Un line-up des personnages de Black Oiled Poulp, que Boky avait fait il y a quelques années… Si des fans veulent voir ce projet exister, qu’ils nous contactent !

Black Oiled Poulp

Sais-tu déjà ce que tu vas faire après Samourawaii ? Une nouvelle BD, un nouveau webtoon ?

J. : J’aimerai bien faire une saison 2. On a assez de matière pour au moins 6 saisons… Peut-être plus ! J’aimerai consacrer chaque saison à l’exploration d’une partie de l’Akogée. On démarre l’histoire à Archéon, puis on explore les régions des Requins, des Crabes, des Humains etc… De quoi faire pour les années à venir, si tout se passe bien !

Parmi les développements auxquels je pense, en lien avec Samourawaii, il y a la reprise de Neron (préquelle que j’avais développé avec l’auteur génialissime Nicolas Sauge… mais il est déjà pas mal occupé !). J’ai aussi ce projet musical dont je te parlais, avec les Black Oiled Poulp. Enfin j’aimerai raconter une histoire qui présente la région où vivent les Humains, et où nous explorerons les conflits auxquels il est fait référence dans la série, ainsi que les origines du Samourawaii… pas mal de pistes, donc ! Mais pour que tout ceci se fasse, il faudra que notre série cartonne sur la plateforme ! Pour l’instant nous n’avons qu’un succès d’estime. Voyons comment les choses évoluent… il faudra être patient.

Je travaille par ailleurs dans l’animation, en tant que directeur d’écriture et scénariste. Je suis en ce moment impliqué sur la campagne kickstarter pour un super projet qui s’appelle Baïdir (NB : la campagne s’est terminée mais les dons sont encore acceptés). Si on parvient à nos objectifs, on espère bien rentrer en production d’ici l’an prochain. Il nous faudra juste convaincre un diffuseur.

J’ai quelques autres projets sur le feu, dont je ne peux pas trop parler. Il y a de la BD, du webtoon et de la série d’animation… à chaque fois en tant que scénariste et auteur. On verra comment les choses évoluent, d’ici l’an prochain !

Une anecdote pour conclure ?

J. : Je rêve de croiser des gens qui, un jour, utilisent l’argot de nos personnages, comme « fils de poulpe » ou « j’y squid que dalle ». Beaucoup de lecteurs nous disent qu’ils vont le faire, mais pour le moment je ne l’ai pas entendu … Mais ne perdons pas espoir hahaha !!!

Merci Josselin de nous avoir accordé cette interview ! Passons maintenant aux réponses de Boky, l’illustrateur de Samourawaii, qui a bien voulu lui aussi répondre à quelques questions.

Boky, tu as aussi travaillé sur un autre webtoon en solo, Queen Pegasus, que tu as ensuite publié sous un autre format. Est-ce que Queen Pegasus reviendra un jour en format webtoon ? 

Boky : Oui, Queen Pegasus reviendra sous le format webtoon et cette fois ci, en français. Il y a un gros travail de réadaptation mais j’y travaille déjà. 

Quel est ton personnage préféré dans Samourawaii ?  

B. : Évidemment Mamala, car c’est un personnage que je prends plaisir à dessiner et j’aime beaucoup trop son caractère.

La scène que tu as préféré dessiner ?

B. : Il y en a beaucoup, mais pour ne pas spoiler, je vais dire la scène de surf sur la planchépée au début de l’épisode 1. C’est l’une des premières scènes que j’ai dessiné donc elle a une saveur toute particulière pour moi. 

Ainsi se conclut cette interview ! Merci encore aux deux auteurs de Samourawaii d’avoir bien voulu répondre à nos nombreuses questions. N’oubliez pas de laisser un j’aime, de commenter ou de vous abonner si vous aimez la série, c’est comme ça que vous soutiendrez ses auteurs !