Brian Storm, créateur du webtoon Stahl Knight
Dans une récente interview à propos de ton webtoon Stahl Knight, tu expliques que tu te retrouves chaque jour de la semaine, de 10h00 à 18h30 avec ta dessinatrice Saphir, pour travailler sur la série. S’agit-il d’un lieu physique ou d’une connexion virtuelle ?
Brian Storm : Nous nous retrouvons en connexion virtuelle sur un serveur Discord. C’est aussi sur ce serveur que nos stagiaires sont invités à travailler avec nous.
Par ailleurs, tu parles d’avoir en projet de fonctionner aussi « en studio » comme les Américains ou les Coréens : peux-tu nous en dire davantage ?
Brian Storm : L’objectif c’est d’arriver à une division extrême des tâches. Souvent en Corée une personne différente s’occupera du scénario, du storyboard, du dessin, de l’encrage, de la couleur, des effets et du lettrage. C’est possible car chaque membre de l’équipe touche un salaire. De notre côté nous cherchons d’abord à fonctionner comme les studios d’animation japonais qui confient des « frames » à différents animateurs tout en conservant une unité de style sur la série. Notre projet est effectif depuis peu et fonctionne beaucoup comme une expérience ; mais en quelques jours nous avons déjà fait de beaux progrès car tout le monde est motivé et s’efforce de tirer le projet vers le haut.
Tu te décris comme un grand fan de shonen nekketsu : peux-tu nous expliquer en détail tous les ingrédients qui font un bon shonen nekketsu ?
Brian Storm : C’est une question très compliquée. J’aime énormément Fullmetal Alchemist ou Chainsaman par exemple alors qu’ils ne cochent pas autant les cases qu’un My Hero Academia. Pour moi un bon shonen nekketsu c’est avant tout une bonne histoire, donc des bons ingrédients de nekketsu c’est avant tout les ingrédients d’une bonne histoire en général. L’art du scénario est extrêmement complexe et à partir de là on pourrait parler des jours de ce qui est structurant d’une bonne histoire, mais d’après mes observations si je devais résumer : « Des personnages crédibles, un ou des objectifs, dans un univers crédible, mais avec des conflits et des péripéties surprenantes. »
Pourquoi ce genre spécifique a-t-il autant de succès en Asie, en Amérique et en Europe, selon toi ?
Brian Storm : C’est la théorie du monomythe, c’est le rite initiatique ultime. Tous les grands récits millénaires auraient une structure similaire. Prenez George Lucas qui dit s’inspirer du monomythe pour écrire Star Wars, ne trouvez-vous pas que Star Wars fait beaucoup penser à un shonen nekketsu ? C’est une structure d’histoire qui parle à l’humanité toute entière. Chaque humain renferme en lui une envie de progresser, de s’élever au-dessus de sa condition ; c’est sans doute un mécanisme de survie/un moyen d’assurer ses chances de perpétuer ses gènes. Ces histoires apportent un sentiment cathartique puissant, mais aussi souvent des conseils que le lecteur peut adopter dans sa vie.
Quand on se demande : pourquoi cela plait ? Il faut toujours se plonger dans la nature humaine profonde, notre côté animal. Nous sommes des êtres issus de millions d’années d’évolution et dont le seul but de notre système de récompense était de renforcer nos comportements de survie. Ce qui vous rend heureux aujourd’hui, ce sont des comportements qui augmentaient les chances de survie de vos très lointains ancêtres. Ecouter une histoire autour du feu, faisait clairement partie des comportements qui assuraient le plus la survie. Il s’agit de réunir des informations, d’apprendre des échecs et des réussites des autres… Et c’est pour ça qu’inconsciemment nous préférons les histoires crédibles (à ne pas confondre crédible et réaliste) car quand l’histoire n’est pas crédible, nous ne pouvons pas vraiment apprendre d’elle.
Tu as étudié le scénario dans l’école de Luc Besson pendant deux ans. Est-ce que c’est une formation que tu recommanderais à un débutant qui voudrait se lancer ?
Brian Storm : Malheureusement l’école de Luc Besson a été fermé à cause des JO 2024. Les locaux ont été remplacé par des dortoirs de sportifs si j’ai bien compris, et les studios de cinéma en gymnase. Cette école était gratuite et m’a délivré un Master alors que je n’avais même pas le Bac. C’était dans la volonté de Besson, de créer une école de cinéma pour les jeunes qui ne sont pas scolaires.
L’année où j’ai rejoins l’école, on sentait qu’on était un peu sur la fin. Le concept s’était érodé et le programme pas franchement passionnant. Je ne pense pas y avoir appris grand chose (en scénario) que je ne savais déjà. Toutefois je recommande vivement les étudiants de cette école. Le concours d’entrée est tellement sélectif et compétitif, que vous n’avez même pas besoin des cours qui suivent pour savoir que vous tiendrez des scénaristes entre vos mains.
Si tu devais ne conseiller qu’un seul ouvrage qui parle d’écriture de scénario, lequel recommanderais-tu aux scénaristes en herbe ?
Brian Storm : À chaque fois je vois des gens se recommander l’ouvrage de John Truby, pour le plus grand bonheur de Truby qui a écrit très peu de scénarios professionnels dans sa carrière. Son ouvrage n’est pas mauvais, il y décrit la théorie de l’écriture organique dont je suis un grand défenseur. Mais John Truby n’a rien inventé et les auteurs du monde entier ne l’ont pas attendu pour écrire organiquement. Aussi l’écriture organique c’est une théorie assez élaborée du scénario, je recommande plutôt aux scénaristes en herbe de commencer par les bases. De mémoire « L’écriture des scénarios » de Jean-Marie Roth ressemble à un plutôt bon point d’entrée.
Personnellement je n’ai jamais eu besoin d’ouvrir un seul ouvrage de scénario de ma vie pour réussir le concours de Luc Besson ou pour écrire mes histoires. Tout comme d’innombrables auteurs au fil des siècles. J’ai commencé à lire certains ouvrages très tardivement car quelques personnes critiquaient mon travail en se cachant derrière le contenu de ces livres. Une fois que je les avais lu j’ai pu démontrer que c’était soi de l’incompréhension de l’ouvrage de leur part, soi de la mauvaise foi. C’est l’effet Dunning-Kruger, on lit un ou deux livres sur le sujet et on se pense expert. S’il suffisait de lire des livres de scénarios pour bien écrire, vous ne pensez pas qu’on serait submergé de bonnes histoires ?
Le meilleur conseil que je puisse vous donner, c’est de décortiquer vos œuvres préférées. Réfléchissez en profondeur sur le pourquoi elles vous ont captivé… Regardez, lisez les encore et encore. Notez les passages les plus marquants, ceux qui vous suscitent une vive émotion. La pratique et l’analyse.
Merci Brian pour ces réponses à notre interview, et à bientôt dans les cases du webtoon Stahl Knight !