Rencontre avec deux traductrices de mangas

Par le 6 février 2022

Quand on est fan de webtoons et de mangas, on est très content de les lire, mais on ne pense pas toujours au fait que si on parvient à comprendre les dialogues échangés par les personnages, c’est parce qu’ils ont été adaptés en français par un traducteur du japonais vers le français. Nous avons souhaité réparer cet oubli en interviewant deux traductrices de mangas et de webtoons du japonais vers le français : Sarah Kourouma et Camille Scaringella.

Bonjour Sarah et Camille, pouvez-vous présenter brièvement votre parcours ? Pourquoi avoir choisi ce métier de traductrice manga, et pourquoi la langue japonaise en particulier ?

Camille Scaringella : Alors je n’étais pas particulièrement attirée par les langues étrangères à l’origine, mais le japonais m’a beaucoup intéressée, car c’est une langue très compliquée à apprendre, mais cela rajoute d’autant plus d’intérêt au métier de traducteur. Si j’ai choisi ce métier, c’est parce que je souhaite rendre la culture japonaise accessible à tous, et retranscrire une langue étrangère en français.

Sarah Kourouma : Tout comme Camille, j’étais intéressée par le japonais. En revanche, contrairement à elle, je possédais déjà un attrait pour les langues étrangères. Pourquoi le japonais ? Eh bien, depuis petite, je suis fascinée par le Japon. Cette passion m’a prise après avoir vu le célèbre film Le voyage de Chihiro. Sans que je ne comprenne réellement pourquoi, ça a fait tilt et je me suis plongée dans la culture de l’archipel nippon. C’est au même moment que j’ai découvert les mangas, et notamment Fruit Basket, qui reste mon titre favori. Au fil de mes lectures, je me sentais redevable envers les traducteurs qui me permettaient de découvrir de nouveaux écrits. Aussi, j’ai voulu à mon tour retranscrire des textes afin que le lectorat pour avoir accès à des œuvres étrangères. De plus, lorsque je traduis, j’effectue des recherches sur la langue et la culture japonaise afin de mieux comprendre le texte, l’ambiance et apporter la meilleure traduction possible. C’est un travail que je trouve très intéressant, et surtout, très enrichissant.

La passion de la langue japonaise

Depuis quand pratiquez-vous ce métier ?

Sarah Kourouma : Depuis octobre 2019.

Camille Scaringella : Et moi depuis février 2021.

Qu’envisagiez-vous de faire en premier lieu et, si ce n’était pas ce métier de traductrice manga, qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Sarah Kourouma : Je voulais être traductrice (et travailler dans la communication ou être architecte d’intérieur… bref, j’étais un peu paumée). Toutefois, le secteur de la traduction me semblant hors de portée, je n’étais pas sûre d’y arriver. Loin de me dégonfler, j’ai choisi de suivre une licence LEA (Langues Étrangères Appliquées) parce qu’elle me paraissait plus ouverte et m’offrait plus de possibilités de changement de cursus. Finalement, je n’ai pas changé de parcours et j’ai enchaîné sur un Master pour solidifier et étendre mes compétences en japonais.

Camille Scaringella : Moi j’ai suivi un BAC S dans le but de faire médecine, puis j’ai découvert le japonais en prenant des cours du soir. Je me suis rendu compte que je préférais travailler seule, mais je n’envisageais pas du tout d’être traductrice au début.

Quel cursus d’études avez-vous suivi pour en arriver là ? Le conseilleriez-vous ?

Sarah Kourouma : Comme indiqué précédemment, j’ai suivi une LEA Anglais-Japonais à Bordeaux Montaigne. Durant ma troisième année de licence, j’ai effectué un premier stage au sein de MAKMA. C’est à la suite de ce dernier que j’ai débuté mon activité de traductrice manga/webtoon pour le studio. Dans le même temps, j’ai poursuivi sur une master LAI en management d’événements nationaux et internationaux (anglais-japonais). Mon master étant pluridisciplinaire, j’ai appris de nombreuses choses dans le domaine de la communication et de la gestion d’événements. Dans cette filière, nous retrouvons bien plus de cours pratique que de cours théorique. Cela permet de mettre nos connaissances en application et de faire du concret. Durant cette formation, j’ai également enrichi mon vocabulaire et appris des expressions propres au monde de l’entreprise. Après quatre mois de cours, j’ai effectué un second stage au sein de MAKMA.

Camille Scaringella : J’ai suivi une licence LLCER à Lyon III, suivie d’un master de recherches en langues. Au programme on avait de la littérature, de l’histoire, de la linguistique (tout sur le Japon) et des cours d’art (cinéma, manga, histoire de l’art), et j’avais également des cours de traduction en Master. J’étais très intéressée par le cours de cinéma, parce que je voulais sous-titrer des films.

Le rôle d’une traductrice manga/webtoon

Quel est votre rôle, quand intervenez-vous lors du travail sur une œuvre ? Que faites-vous précisément et comment vous y prenez-vous ?

Camille Scaringella : Les traducteurs sont au début de la chaîne. On fait du BP (du balloon placement), c’est l’étape consistant à assigner un numéro aux bulles et onomatopées, pour ensuite les référencer sur un autre document, où tout est traduit à part. Il y a possibilité de faire deux postes à la fois, c’est à dire traduire et placer le texte en même temps (ce qu’on appelle le lettrage). Le traducteur ne réintervient pas, ou rarement, une fois que la traduction est terminée. Elle est livrée aux lettreurs, sauf s’ils ont des questions pour les traducteurs.

Dans le cas d’un manga, il faut faire un BP et indiquer au lettreur la police pour les dialogues, les pensées… Donc pour tous les types de textes différents en fait. Avant l’envoi final, une relecture faite par un correcteur est nécessaire afin de s’assurer que le lettrage est bien réalisé. Au niveau des mangas, il peut arriver que le traducteur intervienne plusieurs fois.

Sarah Kourouma : À l’heure actuelle, j’ai plusieurs casquettes : traductrice, lettreuse, formatrice, relectrice/correctrice et responsable du pôle japonais du studio MAKMA.

Je suis chargée des relations avec les clients nous commandant des prestations d’adaptation du japonais vers le français (ou l’anglais). Lorsque je reçois une commande, je me charge de vérifier le matériel que le client met à notre disposition et je compose les équipes. Étant traductrice, lettreuse et relectrice, je peux me placer sur ces missions. Ensuite, j’assure le suivi de chaque projet jusqu’à son terme et je me charge de livrer les éléments aux clients.

De la réception des webtoons

Souvent, je me place sur des missions de traduction, lettrage et relecture de webtoons. Lors de la traduction, je commence par lire l’œuvre à traduire avant de me préparer un lexique et d’entamer mon BP (Balloon Placement). Le BP, c’est la numérotation des bulles et des onomatopées, nécessaire pour la phase de lettrage. Dans la grande majorité des cas, ce fichier est au format PDF. Une fois que j’ai terminé ma traduction, je l’envoie à mon lettreur. Généralement, mon rôle se termine au moment où j’envoie ma traduction. Toutefois, il peut arriver qu’un lettreur (ou relecteur) ait besoin d’une information complémentaire par la suite.

Lorsque je fais du lettrage, je place et cale le texte et les onomatopées sur les planches, en n’oubliant pas de masquer la VO.

… à la réception des mangas

Pour les mangas, le process est quasiment le même. Il arrive toutefois que j’aie à faire mon BP sur le manga papier, mais cela ne change en rien la suite des événements.

Pour le lettrage, c’est un peu plus complexe car des étapes s’ajoutent : maquette, préparation (pose et mise en forme du texte sur les planches), finitions (calage du texte et mise en forme des onomatopées) et intégration de corrections. Ce travail se fait sur le logiciel Indesign.

Travaillez-vous pour une seule maison d’édition, ou avez-vous plusieurs projets en même temps ?

Camille Scaringella : Alors moi, je travaille uniquement pour MAKMA, et avec un seul client (Coolmic). Comme je viens de finir mes études, je préfère m’occuper d’un seul travail à la fois, surtout parce que je veux passer mon JLPT (Japanese-Language Proficiency Test). Travailler en tant que traductrice, ça me permet de m’améliorer constamment en japonais.

Sarah Kourouma : Je passe exclusivement par MAKMA. Ce sont eux qui dégotent les contrats avec des éditeurs. Je suis liée à MAKMA par contrat (CDI pour mes activités de supervision) et je suis collaboratrice dans le cadre de mes traductions et de mes lettrages.

Quelle est l’œuvre préférée sur laquelle vous avez travaillé ?

Camille Scaringella : Qu’elles soient bien ou pas, je pense qu’on a forcément un attachement particulier à notre première œuvre.

Sarah Kourouma : En webtoon, je dirais SubZero. C’est mon premier webtoon, donc je l’affectionne tout particulièrement. En manga, j’ai surtout fait de la reprise de projet. Toutefois, parmi ces reprises, j’ai beaucoup aimé Stardust Wink.

Le travail d’une traductrice de manga

Quels ont été les principales difficultés rencontrées avant d’arriver à votre place actuelle ?

Sarah Kourouma : Honnêtement, ma troisième année de licence LEA et mon second stage. Je crois que cela a été le plus difficile, haha. Deux expériences riches en émotions, mais c’est en faisant face aux difficultés que j’ai pu progresser.

Le rapport entre la charge de travail et les horaires est-il satisfaisant, ou est-ce compliqué de gérer ?

Camille Scaringella : Je ne m’occupe que de la traduction, et je reçois environ trois commandes par mois. Donc je ne travaille pas pour l’instant tout le mois, mais lors de la réception de la commande, je passe 4/5 jours d’acharnement avant de m’accorder une pause, et puis je reprends sur une autre commande. Je peux complètement gérer mes propres horaires, ce qui est très arrangeant, le fonctionnement de MAKMA est très fluide.

Sarah Kourouma : Je dirais que c’est relativement satisfaisant. Seules les périodes de lancement de nombreux projets, et l’arrivée de nouveaux clients peuvent parfois être éreintants. Néanmoins, j’ai aussi des périodes bien plus calmes qui me permettent de souffler.

Avez-vous déjà eu l’occasion de partir au Japon dans le cadre de vos études ou du travail ?

Camille Scaringella : Je suis partie un mois en vacances, et 2 mois en famille d’accueil à Fukuoka. J’étais passée par un organisme (ESL) qui proposait un séjour linguistique, entre la fin de ma licence et mon entrée en Master.

Sarah Kourouma : Durant l’été 2019, je suis restée à Tokyo pendant 2 mois (de juillet à septembre) entre ma licence et mon master. J’étais partie avec une amie (qui a elle aussi intégré MAKMA).

Comment le choix des œuvres à traduire est-il effectué ?

Sarah Kourouma : Pour les webtoons, notre principal client a un large panel de séries. Toutes les deux semaines, nous recevons une certaine quantité d’épisodes de séries différentes. Pour les mangas, je l’ignore. Lors de ma collaboration avec Panini Manga, j’ai essentiellement eu des reprises de projets. Toutefois, je présume que les clients font un travail d’analyse pour savoir ce qui se vend bien au Japon et ce qui pourrait plaire au public francophone.

Vous occupez-vous d’un genre en particulier, ou préférez-vous vous intéresser à plusieurs domaines ?

Camille Scaringella : J’aime beaucoup m’occuper de séries qui contiennent de l’humour avec des jeux de mots : c’est super intéressant à traduire.

Sarah Kourouma : J’affectionne particulièrement les séries humoristiques et les tranches de vie. On y retrouve beaucoup de termes et d’expressions qu’on n’apprend pas forcément dans les manuels. Je pense notamment aux jeux de mots ou à l’argot. De plus, on suit le quotidien des protagonistes, c’est cool.

Parlez-moi de votre relation avec vos collègues. Quel type d’échanges avez-vous et vous entendez -vous bien avec eux ?

Camille Scaringella : Je n’ai pas vraiment de contact avec d’autres personnes à part Sarah, et je m’entends très bien avec elle. Si, j’envoie des e-mails aux lettreurs, mais souvent, ils ne répondent pas.

Sarah Kourouma : Ça se passe très bien (même s’il arrive qu’il y ait quelques petites remontées de bretelles quand quelqu’un accumule le retard, haha).

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail à l’heure actuelle ? Le conseilleriez-vous ? Si oui, que diriez-vous à quelqu’un qui a pour projet de se lancer dans cette carrière ?

Camille Scaringella : Ce qui me plaît le plus, c’est de trouver la meilleure traduction d’un mot. D’abord comprendre la phrase, puis rendre la traduction plus fluide, sans dénaturer le texte original et sans non plus être trop littérale, pour que le lecteur trouve ça totalement naturel. Oui, je recommande mon travail, j’en ai une très bonne expérience ! Il m’arrive même de le conseiller à des amis !

Sarah Kourouma : Le contact avec la langue japonaise est très enrichissant et permet de faire de nouvelles découvertes. Je suis contente de traduire du contenu afin que ce dernier soit accessible à tous. C’est toujours un plaisir de jouer à adapter le texte au style de l’histoire, en prenant en compte le vouvoiement, le tutoiement et en remaniant le texte pour qu’il soit le plus fluide possible… Ce sont des choses qui me passionnent. J’ai la possibilité de mettre ma petite patte dans mes traductions, je trouve ça vraiment super.

Préférez-vous le travail sur place ou le télétravail ?

Camille Scaringella : Vive le télé travail ! J’arrange mon emploi du temps comme je veux, et je peux me permettre de prendre du temps pour moi.
Ça dépend de son entourage, mais personnellement, j’ai la possibilité de retrouver la plupart de mes amis pour travailler ensemble, parce qu’ils sont dans le même domaine que moi.

Sarah Kourouma : J’aime bien le télétravail, parce que cela donne la possibilité d’arranger ses horaires comme on le souhaite. Par contre, les échanges ne se font que par e-mail et par téléphone. Pour conserver une certaine proximité, nous avons créé plusieurs groupes de discussion pour échanger de manière moins formelle. D’ailleurs, nous en avons un pour les traducteurs de la team JP. Travailler à distance peut parfois donner l’impression d’être seule derrière son écran, donc j’apprécie quand nous pouvons organiser des meetings (même en visio, car c’est plutôt fun de voir et d’entendre ses collègues). Fort heureusement, j’ai plusieurs amis de la fac qui bossent à MAKMA et habitent dans la même ville. C’est toujours agréable de se retrouver pour travailler ensemble.

Merci Camille et Sarah pour cet entretien passionnant !

Si vous aussi, vous souhaitez devenir traducteur ou traductrice de mangas ou de webtoons, nos amis du studio MAKMA vous donnent des conseils pour savoir comment devenir traducteur de manga.